Au gre de la mémoire, nos souvenirs du Chanoine Jean Baptiste Pierre Halaby, ancien curé de St Joseph à Port-au- Prince
Introduction
En vue de la publication prochaine d’un article sur la vie du Chanoine Jean-Baptiste Pierre Halaby, Au gré de la mémoire, Nos second fils prêtres de la Paroisse Notre Dame du Très Saint Rosaire de la Croix des Bouquets, notre ami, monsieur Buteau Espiègle, plus communément connu dans la diaspora haïtienne catholique de l’Amérique du Nord et particulièrement dans le Nord-Est des États- Unis sous le doux et affectueux surnom de “frère Buteau -Frère Tob ”, nous a demandé de lui faire part de nos souvenirs du défunt prélat, notre ancien curé, qui nous a acceptés mon frère aîné et confrère Mgr Madelon Eustache et moi comme enfants de chœur (ou servants d’autel) à la Paroisse de St Joseph un vendredi de chemin de croix de l’année 1968. Nous ne pouvons nous empêcher de penser ici au très regretté et incompris Mr Gérard Maisonneuve, ancien chroniqueur catholique haïtien qui avec ses “Annales de l’Église d’Haïti nous apportait régulièrement une mine d’informations religieuses et qui, s’il était encore là, nous aurait volontiers épargné ce travail. Requiescat in pace!
Étant très difficile de dire non au frère Buteau pour un service d’église, quand on sait son indéfectible engagement et son entier dévouement à l’édification et la solidification du corps du Christ tant ad intra qu’ad extra les frontières Haïtiennes, nous avons donc volontiers accédé à sa demande, tout en lui rappelant que nous devrons avant tout consulter des gens qui ont mieux connu que nous le regretté natif de la Croix des Bouquets, pour avoir vécu avec lui sous le même toit.
C’est ainsi que nous avons appelé deux ex-collaborateurs du “de cujus” Mr Fritz Laferrière son ancien sacristain et le Révérend Père Danis Ridoré, son deuxième vicaire qui remplaça le très aimable et aimé Père François Smith Jeannot parti pour l’exil vers la fin de l’été 1969 et qui au mois de juin 2014 a rejoint son ancien curé dans la maison du Père où ce dernier l’attendait depuis juin 1977. Malheureusement, nous n’avons pas pu rejoindre au téléphone le Père Gaston Pierre Louis, ancien vicaire lui aussi du Père Halaby. Le Révérend Père Gérald Dumont et mon grand frère Madelon Eustache ont bien voulu aussi partager leurs souvenirs de notre bien aimé curé.
En vertu de la fameuse maxime des Romains “De mortuis nihil nisi bonum dicendum est”(du défunt, on-dit du bien où on se tait ou si l’on préfère, il ne faut pas flétrir la mémoire des morts), les lignes qui vont suivre sont donc le produit d’une combinaison de témoignages positifs, affectueux et authentiques de gens qui ont une certaine connaissance et/ ou ont vécu une expérience un tant soit peu utile avec celui qui était promu, pour la joie de ses paroissiens, Chanoine Pierre Halaby, un témoignage renforçant et/ou complétant un autre.
Présenter un portrait fidèle de cet illustre personnage en traits plus ou moins rapides, s’avère une entreprise à la fois audacieuse, très difficile et risquée. Aussi, pour en faire une idée, nous prendrons en considération seulement quelques facettes de sa personnalité sur les plans personnel et social, liturgique et pastoral.
1- Personnel/social
Le Père Jean Baptiste Pierre Halaby était physiquement très beau et originaire de la Croix des Bouquets. D’ailleurs, il avait un parler qui trahissait sa provenance de la plaine du cul de sac. Il était le frère jumeau de Mr Paul Halaby qui venait le voir souvent au presbytère de St Joseph et qui l’a précédé dans la tombe après une longue période de maladie suite à une paralysie. Nous avons aussi connu Mme Racine sa sœur qui s’occupait savamment de la préparation des repas lors des grandes occasions, et particulièrement pour la fête patronale du 19 mars. Les plats de Mme Racine constituaient un véritable régal tant pour les yeux que pour les palais. Ô Dieu, leurs agréables odeurs nous montent encore aux narines!
Sous des dehors austères, vifs et primesautiers, le Père Halaby n’était pourtant point méchant. Il était au fond très sensible, généreux, fraternel, bon blagueur, rigolard et pouvait même parfois rire jusqu’aux larmes avec ses amis qui étaient très nombreux au sein du clergé. Pour vous en convaincre, citons en quelques uns qui venaient souvent le visiter: Mgr Rémy Augustin, premier évêque haïtien et ancien Évêque de Port de Paix, Mgr François Wolf Ligondé, premier Archevêque haïtien de P-au-P, Mgr Jean-Baptiste DÉCOSTE, ancien Évêque auxiliaire de P-au-Prince promu Évêque fondateur du diocèse de Hinche en 1972, Mgr Jean- Jacques Claudius Angénor, premier Évêque haïtien du diocèse des Cayes, Mgr Alexandre ancien régent de l’Archidiocèse de P-au-P et curé de Ste Bernadette à Martissant, Mgr Albert Dorélien, Vicaire général et curé de Carrefour, Mgr Jean Noël, curé de la cathédrale de Port-au- Prince, Mgr Emmanuel Kébreau, ancien prélat d’honneur de Sa Sainteté et curé de Sainte Anne ou encore les Pères Delva, aumônier de l’hôpital de l’Université d’État plus connu à l’époque sous le nom d’hôpital général, Eustache St Hubert, ancien curé de Jacmel, le Chanoine Roger Cassagnol, curé de Petit Goâve, les Pères Marion, curé de La Croix des Bouquets, Bouillaguet, curé de Bodari, Joseph Atis, curé de St Martin (St Yves) à Delmas, Dominique Henry, ancien curé des Abricots, Burnet François, curé de Bodin, Pierre Laforêt de St Martial, P. Marc Hilaire de Port Margot, P. Gustave Charlot du diocese des Cayes, P. Eugene Marie Thales, qui était encore moine (probablement le premier moine haitien, a notre connaissance, en tout cas). En voulez-vous davantage?
Père Halaby aimait accueillir les confrères chez lui et surtout lors de la fête patronale où il était visiblement heureux de les présenter individuellement aux fidèles. Pour cette grande occasion, il n’est pas exagéré d’affirmer que prêtres et évêques défilaient “par bann e par Makonn”. Il rendait aussi la réciprocité à la plupart de ses confrères. Certaines fois, il nous prenait avec lui soit pour visiter un confrère hospitalisé ou tout simplement pour une visite amicale. Mgr Madelon Eustache se souvient de lui comme un artisan de paix, d’unite et de communion au sein du clerge haitien. Son presbytere était un point de ralliement, un centre d’attraction de tous ses confreres. Bref, un haut lieu de pelerinage.
Toutes les personnes contactées dans le cadre de la rédaction de ce texte s’accordent à reconnaître que le Père Halaby était un pasteur exemplaire, très bon avec ses paroissiens, traitait bien et respectait ses collaborateurs. Il était un grand ami des pauvres qu’il aimait, aidait, et protégeait de son mieux. Pour preuve, permettez que nous vous racontions une petite anecdote.
Les anciens Port-au-Princiens de notre génération et de celle précédente se souviennent encore sans doute des chalands, sorte de camionnette destinée à transporter les va-nu-pieds, les crasseux ou les déguenillés interceptés à travers la ville. C’était au cours de la semaine d’avant la célébration de la St Joseph, l’administration communale de P-A-P avait l’habitude, conformément aux Statuts diocésains dérivés du Concordat, de faire peindre les façades principale et latérales de l’église paroissiale ainsi que le nettoyage de tout le périmètre de
l’édifice. Un beau matin, les hommes d’un chaland débarquent soudainement et embarquent tous les pauvres qui étaient à leur portée. Informé de cette “razzia”, le Père Halaby arriva immédiatement sur place et monta prendre place dans la camionnette au milieu des malheureux. Prié de descendre, il refusa catégoriquement arguant qu’il ne le fera qu’à condition de faire descendre avant lui tous les autres. Devant une telle détermination, le commandant a satisfait à la demande du prélat en ordonnant à ses hommes de faire évacuer le véhicule. Et dire qu’on était sous la dictature!
Le Père Halaby nous emmena quelques fois au cinéma “Drive in Ciné (ciné-parc) sur la route de Delmas dans sa petite jeep Willis et plus tard dans son Land Rover qui venait de faire son apparition en Haïti. Il aimait aussi beaucoup le football et nous fit entrer au Stade Silvio Cator pour la première fois et à la Tribune officielle, s’il vous plaît. Il fut un grand fan de l’équipe nationale qu’il alla supporter parfois même à l’étranger en compagnie d’autres confrères. Nul besoin de dire qu’il fut un vrai nationaliste qui tout en maniant à la perfection le français n’avait aucune honte à parler le créole, contrairement à nombre de nos compatriotes de l’époque.
2- Plans liturgique et pastoral
Fraîchement nommé curé de la Paroisse Sainte Rose de Lima à Léogane et adhérant aux grands changements prônés par le Concile Vatican II dont les travaux venaient de se terminer, le Révérend Père Halaby entreprît le réaménagement du maître-autel de manière à l’adapter aux nouvelles règles liturgiques. Désormais, le célébrant donnera face au fidèles.
Peu de temps après, promu curé de la Paroisse Saint Joseph à Port-au-Prince en 1967, il ne tardera pas à récidiver. Grand constructeur devant l’Éternel, il va procéder à la réfection de la sacristie, du chœur de l’église, du maître-autel, et à l’agrandissement de l’eglise par l’ajout d’un transept, la construction d’un dispensaire, grâce à l’expertise et sous la direction de son ami l’Ingénieur Saint Laurent. Il avait un goût très poussé pour la propreté, la beauté sans tomber dans le luxe. D’ailleurs il vivait et s’habillait très modestement. Il nous confiait que son Évêque voulait lui confier la charge pastorale de la paroisse St Pierre à Pétion-Ville où il allait être le premier curé haïtien, mais qu’il refusa préférant rester avec des paroissiens plus modestes. Pourtant, il avait des amis dans les plus hautes sphères du pouvoir et de la société haïtienne.
La vétusté du presbytère ne manquera pas non plus d’attirer l’attention du nouveau maître des lieux qui procédera graduellement mais sûrement à sa reconstruction. Enfants, nous y avions aussi travaillé pour gagner quelques centimes. Nous pouvons dire qu’avec notre papa, il nous a inculqué très tôt l’amour du travail. Il avait enfin commencé la construction du centre paroissial qui sera achevée par son successeur le Révérend Père Simon de la congrégation des Pères salésiens.
Le Père Halaby passait aussi pour un fin prédicateur qui prenait le soin de préparer ses homélies et ses célébrations liturgiques. Il introduisît la messe en créole dans la paroisse ainsi que l’utilisation du tambour, au cours d’une belle célébration où prit part le Révérend Père Joseph Augustin (devenu Papi Joe) de la troupe Tamboula. Il adorait chanter et dota l’église de sa première orgue électronique en remplacement du vieil harmonium, à l’occasion de la célébration du centenaire de la paroisse en 1973. Il a renforcé la dévotion à St Joseph et instauré la messe de 11 heures le mercredi matin où des pèlerins de toutes les couches sociales venaient prier en masse et attendaient que le carillon s’égrène pour marquer l’heure de midi. Il faut rappeler toutefois que le curé était très sévère envers les personnes qui salissaient les colonnes, les bancs ou le sol en mosaïque en laissant couler la cire de leurs bougies.
Le chanoîne Halaby démontra un très grand souci pastoral et un véritable intérêt pour la mission. Il prenait à cœur la formation des fidèles à laquelle il contribua du mieux qu’il pût en
les envoyant à des sessions de formation au Centre catéchétique de Nazareth (communément appelé alors” Cénacle “) ou en organisant ces sessions dans la paroisse même en y invitant des formateurs ou prédicateurs de renom. Il encouragea l’épanouissement des mouvements d’actions catholiques de jeunes tels que les Kiros, les Missionnaires de Jésus Christ (Mouvement fondé par Mgr Rémy Augustin a Port-de-Paix, mais mis sur pied a St Joseph par le nouveau Vicaire de la paroisse le R. P. Gaston Pierre-Louis et dont Madelon et moi furent parmi les tout premiers membres du comite de direction respectivement comme Vice-President et tresorier) ou d’adultes comme La Sainte Famille, la Legion de Marie (etant déjà un fils de Maman Marie par son origine crucienne). Il était ausssi un grand recruteur de seminaristes ou un agent vocationnel hors pair. C’est lui qui a appris a Madelon et moi la bonne manière de faire la lecture des Saintes Ecritures a la messe donc en public. Du coup, nous aimerions que, par dela la tombe, il sache que nous savons ce que nous lui devons!
Conclusion:
Pour terminer nos propos, nous voudrions prendre le temps de remercier frère Buteau de nous avoir offert l’occasion de recueillir, ressusciter ou de prélever sous les cendres des années les meilleurs souvenirs du défunt Chanoine Jean-Baptiste Pierre Halaby enlevé à l’affection des siens et de ses fidèles au mois de juin 1977 des suites d’un cancer. Nous nous rappelons que de retour en Haïti au mois de mars de l’année fatidique, pour préparer la fête patronale, on voyait déjà visiblement que cela n’allait pas pour lui; et comme s’il s’agissait d’un signe avant-coureur d’une fin imminente, le système de son dont seul le curé maitisait vraiment le mécanisme de fonctionnement se mît à cafouiller. Et malgré tous les ordres, chatouillements et prières de son propriétaire, il refusa de lui satisfaire. Les fidèles en étaient à la fois mécontents et attristés et notre malheureux curé on ne peut plus gêné.
Conscient de la gravité de sa maladie et de sa réputation d’impardonnable, il avait confié à l’un de ses plus proches collaborateurs et homme de confiance Mr Fritz Pierre que dans prières, il ne demanda jamais à Dieu la guérison. Peu de temps après la fête patronale, il retourna aux Etats-Unis où il devait quelques semaines plus tard faire le grand voyage. Et en dépit du fait qu’on le savait condamné à une fin prochaine, la nouvelle de sa mort ne manqua pas de causer un très grand choc dans tout le clergé d’Haïti et de plonger dans la consternation la communauté paroissiale de Saint Joseph en particulier.
Décédé au début de sa cinquantaine, le Chanoine Jean-Baptiste Pierre Halaby est définitivement parti trop tôt. Il aurait été notre petit frère à présent. Mais qu’en savons-nous? Pour répéter le Révérend Père Danis Ridoré, son deuxième vicaire à St Joseph. Peut-être qu’en si peu de temps, il a accompli beaucoup, selon l’appréciation de Dieu qui a ses plans sur chacun et chacune de nous. I n’était sans doute pas un saint, car il avait parfois des mouvements qui pouvaient blesser et probablement blessaient. Comme tout homme, il avait ses qualités et ses défauts, donc pécheur comme nous, mais fort heureusement serviteur. Laissons donc au souverain Juge miséricordieux tout jugement! Pour marquer le centenaire de sa naissance, nous avons juge bon de partager avec le grand public nos souvenirs de cette figure de proue de l’histoire du clerge haitien, en guise d’expression de gratitude et d’affection. Enfin, que nos humbles prières l’accompagnent et qu’il repose en paix!
Jomanas Eustache, Prêtre
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